Virginie Varenne, fondatrice de Philéone

Virginie Varenne - Fondatrice de Philéone



Bonjour Virginie, est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle Virginie Varenne, j’ai 56 ans, et j’ai le bonheur d’être la mère adoptive de 4 enfants. Je suis arrivée dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, quartier emblématique de la soie grâce à l’école, et dès que j’ai eu conscience qu’un jour je devrai quitter le foyer familial je me suis dit que j’habiterai ici, et c’est ce que j’ai fait. 

Comment as-tu commencé à travailler dans la filière textile ?
Dans les années 90, en parallèle de mes études, je participe à la création et au développement d’une association qui s’appelle Le tour du monde des jeunes entrepreneurs, dont l’objectif est de développer les marchés export d’entreprises françaises aux Etats-Unis (New-York, Los Angeles, Hawaï) et en Asie (Tokyo, Seoul, Taïwan, Hong-Kong et Singapour).

Nous étions une vingtaine d’étudiants partant pendant deux mois l’été pour développer les marchés export des entreprises qui nous avaient fait confiance. Nous étions parrainés par le Ministère du Commerce Extérieur et le Crédit Lyonnais. Chaque entreprise finançait le voyage de son étudiant. Nous n’avions pas de gros budgets et nous dormions dans des petits hôtels, parfois à 6 par chambre. La journée, chacun partait prospecter ses futurs clients. C’est de cette façon que j’ai vraiment découvert le textile, une industrie extrêmement présente dans la région lyonnaise.

Lors de mon dernier Tour du Monde en 1989 je rencontre à Los Angeles le Consul commercial de France, qui me parle de son envie d’aider à valoriser le textile français aux États-Unis. Rentrée en France avec ce projet dans un coin de ma tête, je le présente au Centre Textile de Lyon, qui accepte de le réaliser avec moi. En même temps, une des entreprises que je représentais pendant nos tournées à l’étranger, JM Parent, souhaite continuer son développement à l’export, et c’est donc grâce au développement de ces deux activités que je peux, à 25 ans, me mettre à mon compte à la fin de mes études. 

Jusqu’en 1996, je passe la moitié de l’année en voyage entre les États-Unis, le Canada, et l’Asie. J’organise des salons commerciaux pour l’industrie textile lyonnaise et je développe les marchés export de la société JM Parent. C’était génial, mais aussi très éprouvant. Alors j’ai eu envie d’arrêter de faire du service pour développer mon propre produit. Au même moment, JM Parent qui fabrique des écharpes, dépose le bilan. Je le rachète, et j’installe mon entreprise "Lyon Laine" dans un local à la Croix-Rousse, à Lyon. 

Tu peux nous parler un peu plus de Lyon Laine ?
Avec Lyon Laine je crée, fabrique et vends des étoles et des écharpes, notamment pour des grands noms de la mode comme Dior, Lanvin, Cerruti ou Donna Karan. J’allais les démarcher pour leur montrer mes qualités de tissus. Quand ils étaient intéressés par telle ou telle qualité, il n’était pas rare qu’ils me confient des dessins de leurs archives à réadapter ainsi que leur gamme couleur. Après avoir validé les prototypes nous démarrions la production. Pour Dior par exemple, j’ai créé des étoles en laine et soie, une qualité que nous travaillons toujours chez Philéone !

C’était passionnant et très stressant à la fois : les contrats n’étaient pas fixes car dépendants du marché de la mode, qui de plus n'accepte aucun retard de livraison. D’une année sur l’autre nous ne savions pas si les clients de la saison précédente mettraient de nouveau nos créations en collection. C’est un marché qui peut générer de grosses angoisses !

Je me souviens par exemple d’une commande pour Thierry Mugler, où nous avions eu un souci au moment de la livraison du produit. Les fils, pour tisser la commande, avaient été livrés dans des caisses de bois contenant des résidus de paille de la même couleur que les fils. Les brins se sont répandus partout dans le tissu au cours du tissage. Nous ne nous en sommes rendus compte qu’au retour de la teinture lorsque les brins de paille, qui eux n’avaient pas retenu la couleur, se sont révélés. On a dû passer les 1000 mètres de tissu à la pince à épiler pour enlever tous les brins de paille et pouvoir livrer Thierry Mugler !

Tout ça nous mène en janvier 2001 et à cette époque, Lyon Laine est en difficulté. Ce que nous appelons la mondialisation fragilise les Très Petites Entreprises comme la nôtre ! Nous décidons alors Philibert et moi-même de nous associer, professionnellement, avant de nous associer à la Ville 🥰 Philibert dirige lui aussi une TPE textile à Lyon, Soieries Varenne. Nous mutualisons nos moyens et continuons à fabriquer les tissus habillement de Soieries Varenne. En 2002 nous créons une marque d'écharpes, Capucine, qui sera commercialisée en Chine en collaboration avec notre partenaire chinoise Yuxia, qui devient notre amie.

En 2004, la Chine marche très bien, mais la mondialisation en marche touche violemment toutes les TPE. Nous avons le choix entre nous vendre à une structure plus importante ou nous orienter vers un atelier-boutique, concept qui commence à intéresser le grand public. C’est là qu’en rentrant un jour chez moi à la Croix-Rousse, je vois sur la porte d’entrée de mon immeuble une affiche “Il faut sauver la Maison des Canuts !”. J’appelle Philibert et lui dis “j’ai trouvé, on va reprendre la Maison des Canuts”. 


Donc à ce moment-là c’est le début d’une nouvelle aventure ? 
Exactement. Nous travaillons notre dossier, nous allons rencontrer la profession textile, les acteurs de la vie croix-roussienne comme Gérard Truchet, président de la république des Canuts et des amis de Guignol. Tous nous soutiennent et nous font des lettres de recommandation. Notre projet l’emporte face à 7 autres propositions. Un nouveau métier commence pour nous.

Nous nous formons sur le tourisme, la culture, les visites commentées, sur les métiers à tisser à bras. Philibert apprend à tisser le samedi matin grâce à Yvette Chevassut, canuse à la Manufacture Prelle, qui nous offre son aide. Et nous ré-ouvrons la Maison des Canuts au public en septembre 2004.

C’est le début d’une magnifique histoire : l’activité est plus sereine, nous apprenons tous les jours, nous remettons en fonctionnement tous les métiers à tisser, nous créons une scénographie et donnons une seconde vie à ce lieu qui était en très mauvais état.

La Maison des Canuts - Avant

En parallèle les activités de Lyon Laine et Soierie Varenne continuent ! Notre objectif est que ces deux activités soient complémentaires, pour être dans le présent de l’industrie : que la boutique de la Maison des Canuts reflète la qualité et la créativité de la filière textile Rhône-Alpine.

En 2006, Agnès Alauzet, Meilleure Ouvrière de France en tissage à bras rejoint l’équipe et nous développons une nouvelle activité : le tissage à bras sur nos métiers à tisser. C’est ainsi que la Maison des Canuts va produire des tissus d’exception pour Dresde (la cape de couronnement d’Auguste Le Fort), et pour le boudoir de Marie-Antoinette au château de Fontainebleau.

En 2015 Agnès nous quitte et l’activité de tissage à bras s’arrête avec elle. Nous devons alors repenser le business plan de l’entreprise qui est un peu hybride, et comme nous souhaitons revenir à notre cœur de métier, c’est tout naturellement que le projet Philéone voit le jour en 2018.

 

 


Quel est votre projet avec Philéone ? 
Le projet Philéone va vraiment dans la continuité de tout ce nous avons toujours défendu, notamment par notre volonté de promouvoir la filière textile française.

J’ai toujours adoré le fait qu’avec Lyon Laine d’abord, et Philéone maintenant, je puisse aller voir les tisseurs dans la Loire en pleine campagne. C’est un autre voyage que le grand export ! À l’époque de Lyon Laine j’étais heureuse de pouvoir leur dire que les commandes que je leur donnais étaient pour des clients en Corée du Sud, au Japon, au Canada ou encore aux Etats-Unis. C’était tellement à l’opposé de tout ce qu’on nous prônait : délocalisation, délocalisation ! 

C’est cela qui est extraordinaire : dans nos campagnes en France, tous les savoir-faire sont restés. Tout le monde n’a pas pris la vague du profit à tout prix des années 90, et beaucoup ont continué à produire localement. Alors, aujourd’hui, quand on parle de relocalisation, il faut réaliser qu’on a la chance de ne pas partir de zéro puisque nous détenons ces savoir-faire depuis des années. Nous avons encore cette possibilité de produire et de transmettre. Et nous avons d’ailleurs le bonheur d’être rejoints par notre fille Sixtine pour cette nouvelle aventure.

Donc avec Philéone, notre objectif est de continuer de proposer une gamme de produits de très bonne qualité, sans avoir besoin d’avoir gagné au loto pour se l’offrir. Travailler à retrouver ce “moyen-de-gamme-plus” qu’on avait en France dans le textile, et qui a presque disparu. Proposer une alternative entre la fast fashion et le luxe, l’expliquer, et être plus en direct.


J'ai encore deux questions pour toi ! Quels sont tes textiles préférés ?
La soie, pour son histoire, sa beauté, ses racines lyonnaises et son empreinte écologique. Et les lainages, les mélanges laine, soie, cachemire pour leurs douceurs et la nostalgie de mes premiers pas dans cette belle histoire du textile français. 


Et quel est ton indispensable de la colletion Philéone qui ne te quitte jamais ?
Une étole Morgane en laine et soie, chaude et douce.